En 2012, Jonathan s’est installé en colocation avec deux très bons amis à Lyon en signant une caution solidaire. Puis il a voulu quitter l’appartement : le début d’une galère sans fin.
Le contrat solidaire entre colocataires est prévu pour minimiser les risques d’impayés. Il concerne des personnes n’ayant aucun lien juridique entre eux. C’est-à-dire ni mariées, ni pacsées. Dans les faits, chaque locataire est responsable du paiement de la totalité du loyer due au bailleur. Si l’un d’eux ne règle pas son loyer, ses colocataires doivent le faire pour lui. Attention, car la clause de solidarité ne comporte pas obligatoirement le mot « solidarité » dans le contrat.
Depuis le 27 mars 2014 et la loi ALUR portée par Cécile Duflot, les règles de solidarité en colocation ont toutefois évolué. Au départ d’un colocataire, lui et sa caution, ne pourront être solidaires des loyers plus de 6 mois après la délivrance du congé.
Aujourd’hui, Jonathan, 24 ans, a perdu beaucoup d’illusions. Il n’a plus aucune nouvelle de ses anciens amis. Un seul vit encore dans l’appartement. L’affaire pourrait donc durer jusqu’à la fin effective du bail, en septembre 2015. Vincent Prod’homme
J’ai vécu une expérience qui, de par son absurdité et sa stupidité, doit être racontée. Je pense qu’il est de mon devoir de citoyen d’alerter les autres des dangers de ce phénomène, trop rarement pointé du doigt.
Une colocation à caution solidaire (ou colocation à contrat unique) est un type de contrat de bail légal (selon certaines conditions) qui peut vous être proposé par un bailleur au cas où vous souhaiteriez partager un logement.
Il ne diffère que très peu d’un contrat classique si ce n’est pour certains points de détail essentiels :
les colocataires sont considérés comme « solidaires et indivisiblement liés aux charges du loyer ». En bref, leur individualité propre n’existe pas, ils ne font qu’un et chacun dépend de l’autre ;
au cas où l’un des locataires (et/ou garants) ne peut pas honorer sa part du loyer, il est du devoir des autres locataires (et/ou garants) présents de sortir l’argent a sa place, et ainsi jusqu’à rupture définitive du bail ;
si un locataire désire quitter le logement et être désolidarisé des autres, un nouveau bail doit être signé avec les locataires restants. Pour cela, chaque locataire doit impérativement donner congé au bailleur afin de renouveler le contrat ;
dans le cas contraire, si l’un des colocs décide de partir en solo en donnant son préavis, il sera malgré tout considéré comme solidaire des autres jusqu’à la fin définitive du bail.
Nous sommes trois étudiants, bons amis. Tout se passe bien entre nous, et nous nous faisons confiance. Aucun n’a d’expérience en colocation, mais notre volonté de vouloir vivre dans un bel appartement, situé dans une grande – et chère – ville étudiante (Lyon), nous pousse à faire ce choix.
Nous trouvons un logement, idéalement situé et avec un loyer décent. Un rêve que nous souhaitons concrétiser.
Nous passons par une agence, plutôt professionnelle au premier abord, qui nous fait tout de suite comprendre que pour décrocher l’appartement, c’est un contrat solidaire ou rien. Jeunes et insouciants, nous signons.
Septembre 2012
Nous emménageons.
Les premiers moments se passent sans accroc.
L’agence se révèle toutefois beaucoup moins professionnelle qu’il n’y paraît. Elle multiplie :
les erreurs de comptes ;
les « pertes » de documents administratifs ;
les retards de dossiers ;
les coups de fils vindicatifs et « suspects ».
Rien de dramatique, mais ça ne nous rassure pas pour autant.
Après un conflit insurmontable avec mon directeur d’études, je décide de quitter la ville. J’ai d’autres projets en tête et je souhaite m’installer à l’étranger.
J’en discute avec mes colocs, ils m’expliquent clairement qu’ils souhaitent faire de même. On en a tous marre. Très bien, il suffit juste de donner notre préavis (trois mois en location vide) et l’affaire est conclue.
Octobre 2012
Un locataire et moi-même donnons congé (lettre recommandée avec accusé de réception, dans les règles).
Soudain, sans prévenir, le troisième refuse de nous suivre dans cette démarche.
Problème : si celui-ci ne donne pas congé, tous les autres se retrouvent « coincés ».
Du jour au lendemain, c’est la pagaille. Nous avons beau lui expliquer qu’il nous met dans une position délicate, cela n’y change rien. Nous sommes véritablement « dépendants » de la volonté d’un autre, et ce jusqu’à la rupture contractuelle du bail.
Impossible d’aller habiter ailleurs : nous devons rester, payer et nous taire. Me voilà prisonnier, esclave d’un autre par contrat. Comment définir cela autrement ?
Le cauchemar ne fait que commencer.
Novembre 2012
Bien décidé a régler cette situation de fou (vous imaginez l’ambiance), je trouve un locataire remplaçant. Il doit d’abord être intégré au bail.
Mais comme nous n’avons pas tous donné congé préalablement, selon les sacro-saintes règles de la clause de solidarité, l’agence refuse.
Cela se transforme en sous-location.
La situation est urgente : je n’ai plus rien à faire dans cette ville, j’ai déjà fait tous les préparatifs pour partir, je ne veux pas revenir en arrière.
Je pars en Islande, laissant mes deux ex-colocs et le nouvel arrivant prendre en charge l’appartement.
De janvier à mai 2013
Je n’ai que peu de nouvelles, mais la situation semble stable. Puis je reçois un message sur mon répondeur. C’est l’agence, il y aurait des impayés. Une sacrée somme (plusieurs milliers d’euros). On me parle d’huissiers, de poursuites judiciaires, je ne comprends rien.
Le stress monte, je téléphone à mes colocataires : aucune réponse. Je téléphone à leurs garants : aucune réponse.
Je suis secoué par cette nouvelle. Que s’est-il passé ? Que se passe-t-il en ce moment-même ? Comment avons nous pu en arriver là ? Des questions bien naturelles.
Mai 2013
Après deux semaines d’angoisse, j’arrive enfin à avoir l’un des colocataires au téléphone :
« Tout va bien, nous prenons (ensemble ?) le problème en charge. »
Quel problème ? Que se passe-t-il exactement ? Il reste évasif, beaucoup trop, je sens qu’il me cache des choses.
Je m’énerve, je lui dit qu’il faut qu’ils partent tous de l’appartement avant d’envenimer la situation, qu’il faut qu’on se sorte de là ! Il me répond :
« Je vais m’en occuper. »
Je n’obtiens rien d’autre de lui.
Juin 2013
D’autres coups de fil me préviennent que je suis mis en demeure de régler près de 3 000 euros d’impayés. Qui n’a pas payé ? Qui est responsable ? La réponse est sèche, ce n’est pas le problème, il faut payer, nous sommes tous « solidaires, et c’est tout ». Menaces sur menaces, je n’y fais pas trop attention, c’est leur crédo, ils défendent les intérêts de leur client.
J’essaye de rappeler mes colocs, aucune réponse, ils font les morts. C’est beaucoup plus inquiétant.
J’ai quand même parfois la possibilité de parler au sous-locataire, vaguement et toujours pendant une ou deux minutes. Il fait tout pour me rassurer, il me dit :
« On a tout payé, c’est l’agence qui ne tient pas ses comptes. Ce n’est pas notre faute mais celle du bailleur. »
Que répondre à ça ?
Juillet 2013
J’ai d’autres nouvelles.
Aucun paiement enregistré, la somme explose (près de 4 000 euros), pas un centime de loyer n’est payé, ils vont faire appel a un huissier. J’essaye de parlementer, rien n’y fait.
Le sous-locataire m’envoie un e-mail. Je prends des nouvelles (je n’en ai plus aucune), il me dit qu’il ne « parle plus trop aux autres », qu’ils semblent « déprimés ».
J’essaye de me renseigner par tous les moyens sur les impayés :
« Je n’en sais rien, ils ne me disent rien. »
Tout ce que j’apprends, c’est que le troisième locataire a enfin décidé de donner son congé de départ… en mai ! Sans prévenir personne.
Dans la foulée, j’appelle l’agence, ils m’expliquent sévèrement qu’ils « ne prennent pas en compte le dernier congé », que les deux anciens préavis sont « perdus, de toutes façon », qu’ils faut « en refaire un autre » avec « trois signatures ».
Je ne réfléchis pas a deux fois, s’il faut le refaire, je le refais, qu’importe si l’histoire dure encore trois mois, l’important, c’est que ça se finisse. Je ne suis pas spécialiste en droit immobilier, je ne fais que ce que l’on me demande de faire.
Août 2013
Toujours aucun paiement.
L’huissier prend l’affaire en main (environ 300 euros de frais sont rajoutés au jackpot), les préavis sont enregistrés, mais l’histoire continue. Tous les garants sont prévenus par l’huissier et sont mis en demeure.
Du côté de mes colocs, aucune nouvelle depuis des semaines, aucun moyen de les contacter. J’en deviens malade.
Septembre 2013
Vient le jour où je rentre enfin en France. Je fonce à l’appartement pour demander des explications.
J’y trouve un seul colocataire, tous les autres sont partis. L’appartement est dans un état pitoyable, des meubles sont défoncés, je pense à la caution que j’ai intégralement payée pour leur faciliter la tâche. J’ai très peur pour la suite.
Le « dernier », vivant dans la pénombre et les détritus, m’explique qu’il a décidé de « tout prendre en main » qu’il s’est trouvé du travail et qu’il me « promet de tout payer en temps et en heure ». Je lui dis que la fin du préavis est pour bientôt, qu’il faut vider l’appartement, qu’il faut partir ! Payer et partir ! Tout de suite !
Il me rétorque qu’il veut rester, trouver d’autres colocataires pour me remplacer, qu’il en a décidé ainsi, que tout va « s’arranger ».
Je m’énerve, manque de le forcer à sortir, mais il reste de marbre.
Il n’y a rien à faire, nous avons plus de 4 600 euros de dettes (+ d’autres frais dont je n’ai pas conscience à ce moment précis), pour un appartement que je n’ai jamais habité de toute l’année.
Je m’en vais sans aucune autre explication, je sais qu’il me mène en bateau, mais il est illégal d’expulser son colocataire, c’est la loi.
Toutes les nuits je me répète inlassablement :
« C’est une histoire de fous. »
Octobre 2013
Fin du préavis.
C’est l’huissier qui est en charge de faire l’état des lieux. Je suis donc a l’appartement avec mes garants et colocs, dont celui qui y habite toujours.
On en profite pour faire le ménage, car le logement est dans un état pitoyable. Vaine tentative de remettre de l’ordre ou de reprendre le contrôle de la situation.
Les meubles du colocataire qui y vit toujours sont encore présents, les nôtres sont partis. L’huissier « constate », il fait la morale a celui qui reste, lui demande « à quoi il joue », mais ce dernier reste stoïque, toujours dans son délire. Il avance quelques idées fumeuses de relogement social dans la semaine, de paiement immédiat. Personne n’y croit bien sûr.
Un ami me dit :
« Il est devenu fou. »
Je le pense aussi.
L’huissier s’en va finalement, sans avoir fait d’état des lieux, encore des frais a payer pour rien.
Mes garants, désireux d’en finir au plus vite, déboursent un chèque de 1 000 euros pour montrer leur bonne foi, malgré mes réticences, je comprends qu’il n’y a rien d’autre a faire.
Payer, encore payer, et tout ça pour quoi ?
Novembre 2013
C’est la trêve hivernale, on ne peut pas entamer de procédure d’expulsion du locataire jusqu’au mois d’avril prochain.
L’affaire part en justice, on ne sait pas ce qui va se passer ensuite. Entre les garants, c’est l’explosion, la colère, les discussions sans fin. Entre les locataires, c’est le silence total.
Trois amitiés ruinées, et je ne sais toujours pas comment, ni pourquoi.
J’entre en dépression, mes nuits deviennent très difficiles, cette affaire me prend aux tripes tous les jours, l’injustice et le ridicule de ce système me répugnent. Mais on me répète que j’ai signé, j’ai signé, j’ai signé, j’ai signé, voilà tout, c’est comme ça, et pas autrement.
Ça m’apprendra à mieux lire les contrats, tiens.
Mars 2014
Des mois passent, des mois rudes, remplis de craintes, nous n’avons que très peu de nouvelles.
L’affaire passe au tribunal en mars. Nous sommes obligés de prendre un avocat. Encore des frais, mais le plus dur, c’est l’incertitude.
Avril 2014
Le verdict (en référé) tombe finalement le 8 avril.
Le juge donne raison au bailleur, qui demande l’expulsion immédiate du dernier locataire. Il lui donne également raison pour les préavis de départ et exige que l’on rembourse les indemnités d’occupation illégale du locataire restant.
Le montant exact n’est pas spécifié, mais il devrait dépasser les 2 000 euros.
C’est un coup dur, dont je n’arrive toujours pas à me relever.
Le locataire restant est toujours injoignable, on ne pense pas qu’il puisse être solvable ; est-ce à nous de payer sa part ? Aucune idée, rien n’est stipulé.
Cette affaire n’est donc pas encore terminée, une expulsion peut prendre des mois et entraîner des frais astronomiques.
Combien de temps encore devrons nous attendre ? Toute une année ?
Me voilà lessivé, déprimé et profondément en colère :
contre un pays qui autorise, de façon tout a fait légale, que ce genre de situation puisse exister sur son territoire ;
un pays dont l’idée de justice me paraît aujourd’hui décalée par rapport a la réalité du fait social ;
un pays qui n’a pas conscience des enjeux modernes du logement, et qui ne voit pas de problème a autoriser des contrats déséquilibrés entre les bailleurs et les locataires, sous prétexte de sécurité immobilière. Alors que cette histoire prouve empiriquement que cette législation ne profite a personne ;
un pays où les gens malhonnêtes se pavanent tranquillement dans des appartements squattés, aux frais des gens honnêtes qui suivent la loi à la lettre.
Est-ce un pays dans lequel je souhaite encore vivre ? La question, pour ma part, ne se pose plus.
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